Lettre pastorale sur le conflit intercommunautaire dans le territoire de Kwamouth

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« QU’IL EST BON, QU’IL EST DOUX POUR DES FRERES DE VIVRE ENSEMBLE ET D’ETRE UNIS ! » (PS. 133,1)

Mes chers Diocésaines et Diocésains,

Grâce et Paix de la part du Christ, notre Sauveur !

  1. Depuis quelques mois, nous avons appris, à travers les médias, l’éclatement d’un conflit qui opposerait les Teke et les Yaka dans le Territoire de Kwamouth, dans la Province de Mai-Ndombe. En effet, ce conflit qui couvait depuis le début de cette année a éclaté à la suite d’une querelle autour des redevances coutumières exigées par les chefs Teke (les originaires de ce territoire) aux exploitants des fermes (fermiers). Ces fermiers proviennent de différentes ethnies notamment les Ngala, les Luba, les Tetela, les Yansi, les Mbala, et naturellement les Yaka qui sont majoritaires. Il s’agit ainsi d’un conflit lié avant tout à la question de propriété des terres achetées ou prises en location par ces fermiers. Ce conflit est ensuite aggravé par les insuffisances de l’administration territoriale et l’impunité à l’égard de certains instigateurs pourtant bien identifiés.
  2. Aujourd’hui, nous déplorons les conséquences de cette tragédie dont nous ne mesurons pas encore l’ampleur : outre les pertes en vies humaines, le conflit dans le Territoire de Kwamouth a occasionné un flux massif des déplacés, parmi lesquels de nombreux enfants, des malades, des femmes et des personnes âgées. A ce bilan tristement macabre et dramatique s’ajoutent d’incalculables méfaits et dégâts tels que des destructions méchantes, des incendies planifiés des maisons, des villages, des lieux de culte, des centres de santé, des écoles et autres infrastructures, des pillages ainsi que des expéditions punitives à répétition. A l’heure actuelle. beaucoup de nos frères et sœurs sont dépouillés de tout et condamnés à une vie d’errance et de misère : ils vivent dans la peur et l’insécurité ; la paix et le développement, tout comme le vivre-ensemble harmonieux et la sérénité sont durablement et sérieusement compromis.
  3. Ayant appris ce qui se perpétrait dans le Territoire de Kwamouth dont une bonne partie relève de la juridiction ecclésiastique de l’Archidiocèse de Kinshasa, j’ai décidé de prendre mon bâton de Pasteur et de Pèlerin. entreprenant deux visites pastorales successivement par le fleuve et par la route dans cette contrée en situation d’insécurité. Ma préoccupation était double : D’une part, réconforter à travers des célébrations eucharistiques, des moments de partage et des gestes de solidarité, les fidèles et les populations victimes de ce conflit et ainsi leur témoigner ma proximité spirituelle et pastorale ; d’autre part, échanger et dialoguer avec diverses catégories de personnes sur terrain pour comprendre ce qui s’y déroulait, et en tirer les enseignements qui s’imposent pour notre vivre-ensemble aujourd’hui et demain.
  4. Frères et sœurs dans le Seigneur, ce que j’ai vu de mes propres yeux, entendu de mes propres oreilles et palpé de mes propres mains lors de cette double visite pastorale, confirme bel et bien l’existence d’un conflit aux conséquences tragiques. Mais, contrairement à l’idée communément reçue et répandue, ce conflit est beaucoup plus complexe qu’on le présente. De fait, nous sommes en face d’un
    conflit qui oppose les Teke aux autres ethnies (majoritairement les Yaka). En conséquence, il serait judicieux et correct de parler du conflit intercommunautaire. Celui-ci ne concerne ni tous les Teke, ni tous les Yaka, comme on l’entend abusivement à travers l’expression dangereuse « conflit Teke/Yaka ».
  5. Ainsi, face à ce qui est advenu, je me pose, en ma qualité de Pasteur propre de l’Archidiocèse de Kinshasa, des questions existentielles : Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi tant d’atrocités et de méchanceté ? Pourquoi une telle tragédie humanitaire ? Que est la part de responsabilité de tout un chacun ? Et quels enseignements en tirer ?
  6. Frères et sœurs dans le Seigneur, au-delà de la question de propriété et de territorialité, le conflit intercommunautaire de Kwamouth a une racine encore beaucoup plus profonde, à savoir : le péché qui corrompt le cœur de l’homme et le fait dresser contre ses semblables. Je nommerai surtout le péché de l’indifférence et celui de l’amour exagéré des biens matériels et des richesses périssables, qui font que des gens qui vivaient autrefois et pendant longtemps comme des frères se regardent aujourd’hui en chiens de faïences et se dressent les uns contre les autres. La cupidité envahit le cœur de l’homme, qui s’en prend à ses semblables, oubliant ainsi que tout est vanité (Cf’. Eccl. 12. 8).
  7. Plus grave encore, la volonté de puissance aveugle l’homme, au point de vouloir dominer l’autre qu’il considère à tort comme un étranger et un ennemi, bref comme une menace. La cause en est l’oubli de Dieu qui, dans sa Parole, nous invite pourtant à traiter et à accueillir avec bienveillance l’étranger parmi nous : « Tu ne porteras pas atteinte au droit de l’étranger et de l’orphelin, et tu ne prendras pas en gage le vêtement de la veuve » (Dt 24, 17).
  8. Si donc nous n’y prenons garde, le drame de Kwamouth peut se produire ailleurs et aussi dans nos propres familles où souvent les enfants d’un même père se divisent et s’entretuent autour des questions liées au partage de l’héritage et des biens matériels périssables. Le même drame peut également éclater dans nos paroisses, nos mouvements d’action catholique et nos communautés ecclésiales vivantes de base. Que de fois des gens qui vivent et prient ensemble ne se séparent-ils pas à cause du pouvoir et de l’avoir ? Nos communautés sacerdotales et religieuses ne sont-elles pas elles aussi exposées à ce démon de la division, de la stigmatisation et du favoritisme ? De toute évidence, le corps du Christ en souffre énormément.
  9. Voilà pourquoi j’attire notre attention sur la responsabilité commune de vivre ensemble comme des frères et des sœurs d’un même Père. Fratelli Tutti, martèle Sa Sainteté le Pape François. Tous, nous sommes des frères ! Et nous devons vivre en tant que tels. Car, « il est bon, il est doux d’habiter en frères tous ensemble ! » (Ps 133, 1).
  10. Dans cette perspective, je vous adresse également l’appel à la conversion des cœurs et à la consolidation de la fraternité. Revenons, frères et sœurs, à l’essentiel, à savoir : Dieu et l’observance de sa Parole. Ouvrons-nous à la solidarité et au partage à tous les niveaux. Nous ne pouvons pas continuer à fermer les yeux devant la misère et la mort de nos fières et sœurs. Nous ne pouvons pas non plus nous permettre de détruire et de laisser voler en éclats ce que nous avons construit ensemble pendant de longues années : La fraternité et la paix.
  11. Alors que la Fête du Christ, Roi de l’Univers approche, tournons nos cœurs et nos regards vers ce Roi qui vient instaurer « un Règne sans limite et sans fin : règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix » (Cf. Préface de la Solennité du Christ, Roi de l’univers).
    Puisse la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, intercéder pour nous et nous obtenir le don de la paix et de la fraternité véritables, une fraternité qui se fonde sur le dialogue, la tolérance, la justice, la charité et la solidarité.

Kinshasa, le 08 novembre 2022

Fridolin Cardinal AMBONGO BESUNGU, ofm cap

Archevêque Métropolitain de Kinshasa

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